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« Surprenant de ne pas avoir de bruit ni de vibrations » : bienvenue à bord du Guillaume de Normandie, plus grand ferry hybride d'Europe
« Avant, les vibrations du navire me réveillaient à l'arrivée. Maintenant, j'ai peur d'être en retard », s'amuse Elvina, la responsable animation du Guillaume de Normandie, le dernier ajout de la flotte de Brittany Ferries, mis en service fin mars dernier. Les usagers des navires transmanche connaissent le vibrant tintamarre d'un ferry en manœuvre pour accoster. La donne a changé. Comme son jumeau le Saint-Malo, inauguré peu avant lui, le Guillaume de Normandie est un navire hybride. En haute mer, il est propulsé au gaz naturel liquéfié (GNL), et l'électricité prend le relais lors de l'arrivée au port, puis lors du départ suivant.
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« C'est surprenant de ne pas avoir de bruit ni de vibrations », appuie Chris, passager britannique régulier, saisi par la différence avec les autres ferrys, notamment l'ancien, le Normandie, vendu après 32 ans de bons et loyaux services, et rebaptisé Massalia pour relier la France au Maroc.
« Il faut de la prudence »
Nous embarquons à bord du Guillaume de Normandie début juin à Ouistreham (Calvados), direction Portsmouth, en Angleterre. « On commence à avoir du recul sur le navire », glisse Alexis Fleury, le commandant. « Tout ce qui a été travaillé sur le simulateur, on le retrouve très bien. Avec mon homologue, on fait les mêmes constats : c'est un très gros bateau, long (194 m, NDLR), lourd. Il faut de la prudence, mais il est très agréable. »
« Si on n'avait pas la caméra sur l'extérieur, on ne se rendrait même pas compte qu'on est parti », ajoute Julien Combeau, second mécanicien. La mer défile par les hublots. Le navire quitte le port à pas feutrés, poussé par ses batteries rechargées pendant la traversée précédente. « Nous passons en mode électrique 30 minutes avant l'arrivée. On le reste pendant l'escale (1h30, NDLR) avec un petit complément de groupe électrogène, puis durant 20 minutes après le départ », détaille le commandant. Le tout en quelques clics depuis la passerelle. Quelques clics qui dispensent les ports des bruits et rejets d'échappement.
Le Guillaume de Normandie, ici à quai à Ouistreham en mars 2025. Plus de 100 camions peuvent prendre place à bord, sur la plus grosse ligne de la compagnie en terme de fret. LP/Esteban Pinel
Le Salamanca et le Santoña, mis en service en 2022 et 2023, avaient amorcé un premier tournant dans le renouvellement de la flotte de la Brittany Ferries avec une propulsion au GNL qui génère moins de fumées et de particules fines, même s'ils rejettent en revanche plus de méthane. Le Saint-Malo et le Guillaume de Normandie sautent le pas de l'hybride.
Une première européenne qu'il a fallu dompter, comme sur l'arrivée en demi-tour, technique, à Ouistreham. « Sous propulsion électrique, c'est comme sur les voitures : la réponse est immédiate, surtout en marche avant », raconte Alexis Fleury. « Mais il faut bien plus anticiper pour ralentir. C'est un nouvel équilibre à trouver, aussi pour lisser les manœuvres, afin qu'elles soient plus efficientes. »
Un son de cloche prolongé en salle des machines, où Julien Combeau insiste sur « une puissance délivrée plus rapidement » et la nécessité « d'optimiser la consommation d'énergie ». Pour faire simple, le commandement s'efforce d'arriver moins vite dans les virages, pour éviter au bateau des mouvements inutiles et préserver ses batteries.
Reste qu'il ne faut pas attendre de la charge électrique qu'elle permette de faire surfer le ferry sans émission au cours de ses trois rotations quotidiennes. Ainsi, 20 minutes après avoir quitté Portsmouth, comme prévu, un « pschit » se déclenche en salle des machines. Le moteur électrique ralentit, le moteur thermique prend le relais et l'arbre d'hélice accélère. Le Guillaume de Normandie atteint sa vitesse de croisière de 19 nœuds. Conçu pour aller jusqu'à 23, il ménage sa consommation, mais effectue la traversée en propulsion thermique.
Bientôt la recharge au port
« Pour l'heure, ce sont bien les moteurs thermiques qui rechargent nos batteries », n'élude pas le commandant. Le commissaire du navire, Tan Tot Nguyen, se projette sur l'étape suivante : « Électrifier les ports, pour atteindre l'objectif zéro pollution à quai ». Côté anglais, Portsmouth termine les travaux qui permettront au bateau de se brancher à quai, pour ne plus avoir recours à son groupe électrogène et recharger ses batteries de façon plus vertueuse. Peut-être même de prolonger un peu leur usage en mer.
En France, l'électrification interviendra un peu plus tard. Mais une autre question taraude Alexis Fleury à la passerelle : « On a besoin de connaître le prix de l'électricité sur plusieurs années et qu'il soit compétitif. » Les fluctuations du marché de ces dernières années inquiètent et font encore grincer des dents, alors que la France produit plus que ses besoins.
À l'image du marché automobile électrique, il reste à trouver et consolider le modèle, sur terre comme sur mer. Dans les consciences, en tout cas, un déclic électrique semble s'opérer à bord. Tan Tot Nguyen, au contact des passagers, relève « que les gens se rendent compte de la nouveauté. Il y en a même qui voulaient la découvrir. Ils sont surpris ».